
Ce billet est né d’une ballade sur la trace de mes ancêtres Joseph PEYRON et Mélanie VIAL, originaires de St Christol, dans le Vaucluse.
St Christol d’Albion, situé sur le plateau du même nom, à 11km de Sault, possède une économie essentiellement tournée vers le tourisme et l’agriculture (lavande, épeautre, production de miel…). En 1965, ce petit village isolé devint un des endroits les plus secrets de France en accueillant sur ses terres une base de Force Aérienne Stratégique et l’implantation de missiles stratégiques à fusées nucléaires, base fermée en juin 1999.
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Au détour d’un champ de lavande familial, mon père m’apprend que lorsque son père était adolescent, après la seconde guerre mondiale, il venait travailler avec un apiculteur prénommé Kléber et qu’il a toujours eu pour lui une admiration profonde. Imaginez-vous que ce Kléber avait sa photo dans le dictionnaire…
Comme beaucoup de familles d’agriculteurs de Vaucluse, les PEYRON diversifiaient leurs activités. Propriétaires de terres et de vergers sur St Saturnin lès Apt, la famille s’occupaient également de la récolte de lavandes sur les terres de St Christol héritées du côté paternel.
La promenade continue et nous arrivons au petit cimetière communal. A la recherche de tombes familiales, je suis surprise par la photo d’un disparu : il s’agit de Kléber CONSTANTIN.


Kléber Alexis Bertin CONSTANTIN nait à St Christol d’Albion le 29 mars 1901.
Ses parents, Alexis Fortuné et Julia Célesta ESCOFFIER tiennent la boulangerie du village. Son père, un homme grand par sa taille pour l’époque (1.79m sur sa fiche matricule), était un homme respecté puisqu’il deviendra Maire du village.
Kléber a une sœur, Fernande, née en mars 1904, qui sera institutrice, et un frère, Marceau, né en 1918, qui deviendra un peintre reconnu.
Contrairement à ce que j’ai pu lire sur internet, Kléber n’est pas issue d’une famille d’immigrés grecs.


Ses parents décèdent peu de temps après la naissance de Marceau. Kléber et Fernande prennent en charge leur jeune frère et décèlent rapidement le potentiel artistique du jeune homme. Kléber lui présente des artistes régionaux de renom, tel Eugène MARTEL et les frères AMBROGIANI. Marceau s’installe à Paris afin de se perfectionner dans les Arts Plastiques.
Kléber, de son côté, choisi de rester au village et s’installe comme apiculteur. Il obtient un diplôme de l’École supérieure d’apiculture de Paris. Apiculteur breveté, une correspondance entre Kléber et la direction de son école ainsi que divers documents le concernant sont archivés aux AD du Val de Marne (côte 172J2), documents que n’ai pas pas pu consulter. Kléber a mis au point de nombreux outils utiles à l’apiculture.

Comme tous les jeunes hommes de sa génération, Kléber est appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire. D’abord ajourné en 1921 puis en 1922 pour musculature insuffisante, Kléber est jugé apte au service armé en mai 1923 et intègre le 6e groupe cycliste de Lyon. Démobilisé le 7 mai 1924, il rejoint son domicile à St Christol.
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Rappelé à l’activité militaire le 3 septembre 1939 à l’âge de 38 ans, Kléber est brièvement intégré au 203e régiment d’infanterie avant que la commission de réforme de Troyes l’affecte aux services auxiliaires de la 15e section COA (commis et ouvriers d’administrations) en décembre 1939 à cause de ses bronchites chroniques avec asthme. Il est ensuite affecté à la station des magasins de Châtres (Aube) dépendant de la 8e section COA en février 1940.
L’Allemagne commence l’invasion du territoire français le 10 juin. Ensuite tout va très vite. Sous la menace, le 11 juin le gouvernement français fuit de Paris. Le 13 juin, les allemands entrent dans l’Aube où est stationné Kléber, après avoir franchi la Seine. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris sur les Champs-Élysées. Ce même jour, Kléber est fait prisonnier avec sa section.


Kléber est envoyé au Stalag VI B, situé à Mühlberg, à 48 km de Dresde, sous le matricule 61 492. Il y reste n an avant d’être rapatrié le 29 juillet 1941 en vertu d’un accord libérant les hommes malades, invalides ou âgés de plus de 41 ans. Kléber est démobilisé le 30 septembre et se retire à St Christol.
De retour à la vie civile, Kléber retrouve ses activités dans sa miellerie. La guerre n’est pas loin. St Christol est une place forte du Maquis du Ventoux à partir de l’hiver 1942-1943. Les Habitants aident de nombreux réfugiés d’Alsace-Lorraine et fournissent de faux papiers et une aide matérielle aux jeunes hommes réfractaires au STO. De nombreux résistants périrent pour leurs actes de bravoure.

Une fois la guerre finie, la vie reprend son rythme. Dans son atelier boutique, Kléber est un des premiers à produire de la gelée royale dans la région. Les souvenirs de mon grand père datent de cette période. Voisins de terres de Kléber, chemin de Brouville, lorsque mes arrières grands parents allaient cueillir les lavandes avec leurs fils sur une période s’étendant de début juillet à mi-aout, la famille s’installait dans leur maison de village, Grand Rue, voisine également de celle de Kléber
Amis, les longues soirées d’été se terminaient autour d’un verre d’hydromel, boisson à base d’eau et de miel fermenté, produite par Kléber. Lors de ces réunions amicales, sous les yeux ébahis des enfants, Kléber plaçait délicatement la reine des abeilles dans une petite cage sous sa gorge. L’essaim suivait sa reine et donnait l’illusion d’une barbe.
Le reste de sa vie reste plus mystérieuse pour moi étant donné que les liens entre Kléber et ma famille se sont un peu distendus. Une fois mes arrières arrières grands-parents décédés, au début des années 60, les terres de St Christol seront délaissées. Kléber restera célibataire toute sa vie et décédera au village en 1986.
Le frère de Kléber, Marceau, reviendra à St Christol en 1981 après une belle carrière parisienne et y décèdera en janvier 2017. Un musée dédié à son œuvre voit le jour en 2009.

Merci à Didier, Jean Pierre et Bérangère pour leurs souvenirs et leurs participations.
Pour en savoir plus:
- Musée Marceau Constantin http://www.musee-marceau-constantin.com/
J’ai bien connu cette famille. J’ai grandi à Saint-Christol; étant pupille de l’Assistance Publique j’y ai été ‘placée ‘ et j’y ai passé toute mon enfance. Ma gardienne était la cousine germaine des trois frères et sœur. Fernande était l’institutrice de la ‘petite école ‘ quand j’ai commencé ma scolarité, elle était déjà assez près de la retraite. Nous les fréquentions beaucoup, ils avaient été les premiers à avoir une télévision (et un téléphone) dans le village et nous allions souvent passer la soirée chez eux. Je me souviens également d’y avoir fait le réveillon de Noël, Kléber faisait des tours de magie et à l’époque je voulais être magicienne ! Marceau venait en vacances à Saint-Christol et une fois il avait emporté des dessins que j’avais faits pour une exposition de dessins d’enfants qu’il organisait à Paris. Mes oncles (le frère et le mari de ma gardiennes) allaient à la chasse avec Marceau et Kléber, j’ai des photos de retour de chasse. Je peux vous en raconter plus si ça vous intéresse. J’étais à l’école primaire avec Jean-Marie et Lucien Vial, sont-ils de votre famille ?
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