Le Travignon… un nom qui résonne depuis de nombreuses années dans mon esprit. Depuis toute petite, je me souviens en avoir entendu parler sans savoir exactement où le situer. « Dans la montagne » me répondait-on… A un certain stade de mes recherches toujours pour mon mémoire du DU de Nîmes, je décidais de me rendre sur place afin de mieux appréhender le quotidien de mes ancêtres, d’autant plus que le terme « village fantôme » lu au fil des pages internet m’intriguait au plus haut point.
Une fois sur place, au prix d’une heure de marche sur une piste de forêt, je fus saisis par ce lieu. Imaginer que des personnes habitaient, vivaient, travaillaient et mourraient dans ces murs me sembla une idée bien étrangère à notre conception actuelle de la vie, tant le hameau paraissait isolé dans la montagne.
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Les PONS et les CLEMENT ont vécu dans ce lieu. Juché sur une colline à 934 m d’altitude, le Travignon est le témoin d’une occupation autrefois plus dense du territoire. Entre 5 et 7 maisons constituaient le hameau. Le toponyme apparait en 1542. Deux hypothèses sur la signification du nom: Tra (au delà) -vignon (des vignes) ou l’hypothèse formulée par Emile OBLED Travi (carrefour) et le suffixe gnon: « touffe où pissent les loups ». Effectivement, les loups étaient bien présents dans les bois alentours.

Les ressources y étaient limitées et la vie rude. Malgré cela, je sais par mon père que quarante personnes y vivaient au siècle dernier (XIXe), que mes parents entretenaient des relations amicales et suivies avec eux. Ils n’hésitaient pas à parcourir les sentiers et les kilomètres qui les séparaient pour passer la veillée les uns chez les autres. Il y avaient cinq familles: Pons, Clément, Castinel et deux Masselin. » E. Empereur dans Jean Giono et Saint Saturnin
La vie y était difficile. Le village de St Saturnin se situe à environ 6km, accessible par un petit chemin de piste. Cela ne facilitait pas les échanges. Les besoins des habitants étaient réduits. Les discussions entre François MORENAS et un berger de St Saturnin en 1939 dans son ouvrage sur les Monts de Vaucluse donnent quelques idées de la vie quotidienne. Selon ce dernier, les habitants du Travignon allumaient le four toutes les trois semaines pour faire cuire leur pain de seigle. Ils se nourrissaient de châtaignes, de lactaires et de grisets cueillis sur le plateau tout proche. Ils avaient aussi quelques bêtes. La petite foret de Gayeoux approvisionnaient le hameau en bois de chauffage.
Toujours selon ce berger, les habitants du Travignon trouvaient le moyen d’entasser des pièces d’or et de bâtir des maisons avec le plâtre de Pérrial (quartier de St Saturnin) qu’ils préparaient eux-mêmes en cuisant le gypse en forme de poisson.
Les habitants descendaient « à la ville » les jours de foire pour la Sainte Luce et la Saint Sylvestre parce que c’était la morte saison. Ils échangeaient les pommes de terre contre le vin des coteaux, le lard contre l’huile d’olive des Gros Cléments (hameau du village voisin Villars). Ils cultivaient aussi un peu plus bas quelques lopins de garance, d’indigo et des chardons à carder la laine. Durant les longues veillées d’hiver, ils fabriquaient toutes sortes d’objets, comme des brosses avec les racines de doucette et des couverts en buis.
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Après le décès accidentel de son père en 1775, Jean Joseph PONS, né à Monieux (Vaucluse) en 1773, erre de village en villages avec sa mère et sa fratrie jusqu’au remariage de cette dernière avec un veuf de St Saturnin en 1781. Quelques années plus tard, en 1795, Jean Joseph épouse Marguerite Rose CLEMENT, issue d’une famille du Travignon. Ce sera le point de départ de l’implantation des PONS au hameau.
Jean Joseph et sa famille disposent de plusieurs parcelles: 3 au cœur du hameau, comprenant une maison, un grenier avec citerne d’eau potable (qui sera transformé plus tard en habitation pour l’un de ses fils, Honoré) et une aire de foulage des foins, ainsi que 7 parcelles autour du hameau composées de lande et de bois.


Une partie des parcelles des PONS autour du Travignon
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Le seul point d’eau du hameau était composé de deux citernes creusées dans la roche calcaire, situées sur une aire au dessus du hameau. Ces deux aiguiers étaient alimentés en eau de pluie par un ingénieux système de récupération des eaux de ruissellement.
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Avec le temps le hameau perd ses habitants. Le recensement de 1911 ne mentionne plus qu’un seul couple résidant au Travignon. Après 1914, le hameau est déserté.
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Le Travignon a bénéficié d’un regain d’intérêt, ou plutôt d’une redécouverte, grâce au balisage des chemins de la région par François MORENAS et Jean Giono. Ce dernier, écrivain pacifiste, eut une grande influence sur le mouvement des auberges de jeunesse, réseau mis en place en 1936. Elles avaient pour but l’organisation d’un tourisme nouveau, accessible à tous, avec la propagation d’idées de paix, de liberté et de retour à la terre. L’une des auberges, baptisée Regain, s’installe dans une ferme voisine du Travignon, au Puits du geai. La seconde guerre mondiale mit fin à cette expérience.
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Dans les années 1970, des pilleurs ont démoli les bâtisses du hameau pour leurs pierres. Aujourd’hui il ne reste que quelques ruines.
* 9 générations résumées en une photo * Mon fils devant les ruines de la maison de Jean Joseph PONS, son aïeul
Si vous passez par St Saturnin lès Apt pendant vos vacances, ne manquez pas, le temps d’une ballade, ce lieu hors du temps…
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Pour en savoir plus:
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Pour se rendre au Travignon, suivez le guide: http://www.cheminsdesparcs.fr/pedestre/des-aiguiers-a-travignon/
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Saint-Saturnin-lès-Apt, Histoire, Société, Patrimoine, d’Emile OBLED et M. WANNEROY, ed. Archipal, 2007
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Circuits de découverte des Monts de Vaucluse dans le parc régional du Lubéron – Claude et François MORENAS, Jean GIONO, ed. Cheminements en Provence.
[…] Le Travignon aujourd’hui Parcelles des PONS autour du Travignon […]
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Merci beaucoup, Aurélie, pour ce beau texte sur Travignon! Mes pensées y sont justement allées ce matin. Plein de belles images et de beaux souvenirs à une journée de randonnée et de découverte, dans les années 90, sur l’invitation de François et Claude Morenas qui m’avaient dit d’aller découvrir l’endroit qu’ils aimaient tant et auquel ils ne pouvaient plus se rendre eux-mêmes suite à leur âge avancé. J’ai envie d’y retourner. J’espère bientôt. Cordiales pensées, Carolin.
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vous ne mentonez pas que des scènes du film le film Regain y ont été tournées
où je me trompe
j’adore cet endroit
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Bonsoir, je n’en avais pas connaissance, merci pour l’info ^^
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J y suis passé il y a 8 ans sans connaître son existence… un souvenir inoubliable
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